« Ensemble pour défendre l’intérêt des Français établis hors de France »
Une nouvelle représentation locale des Français de l’étranger voit le jour. Dans ce nouveau système, les élus de proximité seront plus nombreux qu’avant (environ 440 au lieu de 155) mais seule une petite partie d’entre eux siègera à Paris à l’Assemblée des Français de l’étranger. Comment leur travail de terrain s’articulera-t-il avec celui des parlementaires représentant les Français établis hors de France ? Nous avons posé la question aux sénateurs Claudine Lepage et Richard Yung. Entretien.
Les Français de l’étranger sont représentés par des élus locaux et au niveau national par des sénateurs et des députés. Comment s’articule le travail des élus de proximité et des parlementaires ?
Claudine Lepage : Le travail avec les élus locaux est indispensable. Leur expertise nous est très précieuse car ce sont eux qui se trouvent au plus près du terrain et ils peuvent nous faire remonter leurs préoccupations.Ils connaissent leurs compatriotes et leurs conditions de vie. D’ailleurs, lors de mes déplacements, je m’appuie beaucoup sur eux et sur le réseau qu’ils ont patiemment tissé. La réforme qui multiplie leur nombre par trois, tout en diminuant la taille des circonscriptions, permettra d’avoir une analyse encore plus fine des situations, d’y répondre de la façon la plus appropriée possible et de développer davantage la parfaite complémentarité de nos tâches respectives.
Richard Yung : Élus de proximité et élus nationaux ont des fonctions très différentes mais complémentaires car nous travaillons ensemble pour défendre l’intérêt des Français établis hors de France. Les conseillers consulaires seront pour nous, parlementaires, une source d’information indispensable sur les problèmes et les attentes des Français de l’étranger qu’ils nous feront remonter, comme le faisaient jusqu’à maintenant les conseillers AFE. Cela nous permet d’agir concrètement dans notre travail législatif – principalement en déposant des amendements aux textes de loi qui nous sont soumis – pour que les préoccupations des Français de l’étranger soient mieux entendues et défendues. Grâce aux conseillers consulaires, les visites parlementaires aux communautés françaises seront beaucoup plus efficaces. Enfin, comme les conseillers AFE avant eux, les conseillers consulaires devraient nous faire parvenir des dossiers individuels pour lesquels nous essayerons de trouver une solution en lien avec l’administration centrale et les cabinets ministériels auxquels nous avons accès plus facilement. Notre intervention s’avère souvent utile sur ce point.
Combien de temps passez-vous en déplacement et en quoi cette expérience de terrain vous est-elle utile dans l’exercice de votre mandat?
Claudine Lepage : Je voyage en moyenne un tiers de mon temps, quelquefois plus, beaucoup plus même, parfois moins. Rencontrer nos compatriotes, les écouter, voir comment ils vivent, est absolument nécessaire à l’accomplissement de mon mandat car cela permet d’avoir une idée plus précise et authentique de leur réalité. Ainsi, ma visite de 2010 au lycée de Mexico, sur les talons de son proviseur, les échanges, discrets par crainte de représailles, avec les professeurs recrutés locaux, me permet de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Voir, écouter, comprendre, partager, c’est essentiel pour mieux défendre les intérêts de nos compatriotes.
Richard Yung : Je me rends très régulièrement (une semaine par mois en moyenne) à l’étranger pour rencontrer directement les communautés françaises. Depuis mon élection, j’ai ainsi visité 65 pays et 148 villes. À chaque fois, je rencontre des associations françaises, les équipes pédagogiques des écoles et lycées français et les parents d’élèves, des chefs d’entreprises français installés à l’étranger, etc. Cette expérience de terrain me permet de mieux connaître les attentes des expatriés. C’est également l’occasion de leur expliquer les mesures que nous prenons pour améliorer leur quotidien.
Sur quels types de difficultés nos compatriotes vous sollicitent-ils ?
Claudine Lepage : C’est très varié selon les continents, même si les problèmes sociaux prédominent : le fonctionnement de la Caisse des Français de l’étranger, les bourses scolaires, les dossiers de nationalité, la fiscalité et, dans certains pays, les femmes seules ou abandonnées, avec très peu de ressources et beaucoup d’enfants. Chaque pays a parfois des problématiques spécifiques : les situations d’adoption pour les couples homosexuels en Amérique du Nord, les difficultés des jeunes entrepreneurs en Asie, etc. Le cas le plus inattendu m’a été soumis par un homme qui habitait en Italie et souhaitait y rester. Il désirait cependant être enterré en France. Or, n’ayant pas de famille il voulait savoir comment procéder. Et bien j’ai trouvé ! Une autre personne souhaitait débaptiser une rue de Singapour (Pétain street !).
Richard Yung : Nous sommes sollicités sur de nombreux sujets : fiscalité, état civil, visas pour les membres étrangers de la famille d’un(e) Français(e), protection sociale et enseignement… De manière générale, nous sommes alertés sur les dysfonctionnements de l’administration. L’an dernier nous avons été saisis de problèmes relatifs à la célébration de mariages entre personnes de même sexe dans les consulats. Je prête enfin une attention particulière au développement des accords vacances-travail pour lesquels la demande est très forte et aux cas d’enlèvements internationaux d’enfants.
Vous êtes l’un et l’autre membres de l’association Français du monde-adfe. Quel regard portez-vous sur le rôle joué par l’association en faveur de nos compatriotes installés à l’étranger ?
Claudine Lepage : Français du monde-adfe est d’abord l’association qui a permis à la gauche française de se structurer et de se rassembler à l’étranger. C’est aussi un lieu de convivialité, d’échanges, de partage. Son premier rôle est de créer du lien social mais aussi de fournir de l’information et d’aider nos compatriotes dans leurs démarches administratives. A Français du monde-adfe à Munich, là où j’ai adhéré il y a plus de 25 ans, les activités allaient du couscous solidaire à la bourse aux livres, des réunions d’information sur les bourses scolaires à l’organisation de la fête de la musique, des randonnées aux débats sur la laïcité ou autre débat d’actualité. Ce fut pour moi une période très riche d’enseignements.
Richard Yung : Depuis sa création il y a plus de trente ans, Français du monde-adfe a été le véhicule qui a permis à la gauche de prendre toute sa place à l’étranger et d’augmenter ses scores élection après élection. La loi du 22 juillet 2013 a changé la donne pour l’élection des représentants des Français établis hors de France, mais notre association a pu, en liaison avec les partis de gauche, assumer pleinement sa responsabilité pour permettre un maximum de candidatures aux élections consulaires.
Vous êtes tous les deux candidats à un second mandat. Pour quelles raisons ?
Claudine Lepage : Je suis élue depuis 2008 et, en effet, je souhaite me présenter pour un second et dernier mandat. Deux mandats me semblent une bonne mesure. Le premier (de 6 ans pour moi) aura été la période d’apprentissage. Les trois premières années tous les « nouveaux » sénateurs étaient priés d’être modestes dans leurs ambitions. A partir de 2011, nous sommes passés dans la majorité sénatoriale et il était alors possible, pour certains d’entre nous, d’occuper des postes jusque là réservés à la droite. J’ai ainsi pu briguer, et obtenir, le poste de rapporteur du budget de l’audiovisuel extérieur, devenir administratrice de l’AEFE, de France Medias Monde, ou encore secrétaire générale de la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Le second mandat me permettrait d’utiliser l’expérience acquise pour être encore plus efficace au service des Français de l’étranger.
Richard Yung : Le travail parlementaire est tout à fait passionnant et je me sens utile dans mes fonctions. Mes collègues sénateurs reconnaissent mon engagement et mon expertise sur les sujets qui concernent les Français de l’étranger. Leur confiance m’a permis d’intégrer la commission des finances, où j’ai été nommé rapporteur spécial du budget « Action extérieure de l’État », ainsi que la commission des Affaires européennes dont je suis secrétaire. J’ai également développé une méthode de travail avec le Gouvernement qui me sollicite sur les questions relatives aux Français de l’étranger. Il me reste encore des dossiers à mener à leur terme comme la fiscalité des Français à l’étranger, notamment la non-déductibilité des charges supportées par les non-résidents et la différence de traitement entre les non-résidents en matière d’imposition des plus-values immobilières. J’ai enfin à cœur de m’impliquer sur de nouveaux sujets, en particulier le retour en France et la valorisation des expériences acquises à l’étranger.
Propos recueillis par Mélina Frangiadakis pour la revue Français du monde – n°177 – Printemps 2014