Covid-19 : « Il est urgent que l’Europe reconnaisse l’ensemble des vaccins validés par l’OMS »
Tribune de Guillaume Grosso
Directeur des relations avec les gouvernements au sein de l’organisation Gavi, l’Alliance du vaccin
Guillaume Grosso, directeur des relations avec les gouvernements de l’organisation Gavi, l’Alliance du vaccin, rappelle, dans une tribune au « Monde », que la passe sanitaire européen ne doit pas freiner la vaccination dans les pays en développement.
Tribune. Le contraste ne pourrait être plus saisissant. D’un côté, l’Europe et ses cortèges de manifestants. Le 7 août, ils étaient plus de 200 000 en France et des milliers dans les rues de Naples ou de Turin, scandant leur défiance face à la vaccination généralisée contre le coronavirus. De l’autre, la détresse des Tunisiens, dépassés par la vague meurtrière du variant Delta et pleurant leurs morts. Dans un pays qui n’avait pu vacciner avant l’été que 5 % de sa population, des structures sanitaires saturées – 90 lits de réanimation pour 12 millions d’habitants avant la pandémie – ont été impuissantes à éteindre l’incendie. Le bilan est très lourd : plus de 300 décès par jour à la mi-juillet.
Comme la Tunisie a pu le constater à ses dépens, les vaccins constituent une digue efficace contre la déferlante du virus, même portée par les variants les plus contagieux. Ainsi, l’agence britannique de santé publique estime que deux doses de n’importe lequel des vaccins disponibles au Royaume-Uni – dont celui d’AstraZeneca – offrent une protection d’au moins 92 % contre les hospitalisations. Pour preuve, malgré la flambée observée outre-Manche depuis plusieurs semaines, seules 700 personnes sont admises dans les hôpitaux britanniques chaque jour, contre 3 800 en décembre 2020. C’est que, dans l’intervalle, près de 90 % des adultes britanniques ont reçu au moins une dose du vaccin
Outre son dramatique coût humain – 202 millions de cas et plus de 4 millions de morts planétaires, l’équivalent d’un pays comme l’Irlande –, la pandémie représente aussi un poids financier sans précédent : la dette publique de la zone euro a ainsi franchi, pour la première fois de son histoire, la barre des 100 %, selon les chiffres publiés ce mois-ci par Eurostat. La dette française à elle seule atteint 118 % du produit intérieur brut (PIB). Le pays pourrait mettre plus de soixante ans à rembourser ce fardeau. On comprend dès lors la hâte qu’affichent les gouvernements européens à promouvoir une vaccination rapide tout en cherchant à préserver l’activité économique, notamment par la mise en place du fameux passe sanitaire européen.
Conséquences inopinées
Cet instrument, cependant, pourrait avoir des conséquences inopinées pour la campagne de vaccination menée à l’échelle mondiale. Le précieux sésame, adopté le 1er juillet par les pays de l’Union européenne, n’est encore accordé qu’aux citoyens inoculés par les quelques vaccins approuves par l’Agence européenne des médicaments, Astra Zeneca, Janssen, Moderna et Pfizer. Et encore – pour le premier, seuls ceux sortis d’usines européennes sont reconnus. Or, huit vaccins sont déjà autorisés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et largement diffusés sur la planète. Ces produits demeurent pourtant exclus du passeport.
Ceci pose d’abord un problème d’équité. Des centaines de millions de personnes inoculées par d’autres vaccins anti-Covid ne peuvent montrer patte blanche et demeurent interdites d’Europe, contribuant au passage à retarder la normalisation des échanges économiques que le passeport sanitaire devait aider à restaurer. Mais plus grande encore est la crainte d’un effet ricochet sur les programmes de vaccination mondiaux. Elle contribue à alimenter le doute sur l’efficacité de ces injections au sein des populations dans les pays en développement. Une position résumée abruptement par le ministre de la santé de Madagascar : y aurait-il des vaccins réservés aux Africains et d’autres aux Européens ?
Tergiversations
Cette réticence tombe au plus mal. Le nombre de décès a fait un bond de 43 % sur le continent africain et le variant Delta a déjà? été détecté? dans 21 pays. Face à ce défi, le mécanisme Covax, porteé par Gavi, l’Alliance du vaccin et d’autres agences internationales, vient de passer le cap de 190 millions de doses distribuées dans 138 pays et prévoit de fournir 1,5 milliard de vaccins aux pays les plus pauvres d’ici à la fin de l’année. Mais pour parvenir à mener à bien sa mission, Covax s’appuie sur un portefeuille de onze vaccins, bien au-delà? donc des quatre sérums admis par les passes européens. Et pour contribuer à endiguer la pandémie, de nouveaux sites de production vont bientôt fleurir sur le sol africain. Le Sénégal s’apprête ainsi à fabriquer des millions de doses en partenariat avec l’Institut Pasteur, emboitant le pas à l’Afrique du Sud dont le champion pharmaceutique Aspen commence a? produire les précieuses fioles.
Après plusieurs semaines de tergiversations, le Covishield – une version du vaccin Astra Zeneca fabriquée en Inde et distribuée par Covax dans de nombreux pays en développement – à finalement été admis, mais par 14 seulement des 27 Etats de l’UE, dont la France. Quant aux sérums produits par d’autres laboratoires, ils sont encore boudés des instances françaises et européennes. Il est urgent que l’Europe reconnaisse l’ensemble des vaccins valides par l’OMS. A l’heure où les gouvernements de nos pays s’alarment des mouvements anti vaccins qui pourraient faire perdre la course contre la montre contre le variant Delta sous nos latitudes, il serait paradoxal que le certificat vaccinal européen contribue à jeter l’opprobre sur la vaccination dans les pays en développement.
Guillaume Grosso
Directeur des relations avec les gouvernements au sein de l’organisation Gavi, l’Alliance du vaccin
Source: https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/12/covid-19-il-est-urgent-que-l-europe-reconnaisse-l-ensemble-des-vaccins-valides-par-l-oms_6091231_3232.html