La « Diplomatie Economique » intervention de Laurent Fabius

/ août 31, 2012/ Actualités

Intervention de Laurent Fabius au cours de la séance plénière « Diplomatie économique »

XXe conférence des ambassadeurs

Paris, le 28 août 2012.


« Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Je veux remercier les intervenants ainsi que le Secrétaire général, qui ont contribué à faire de ce débat un moment très utile. J’en retiens au moins quatre enseignements.

Le premier, c’est l’urgence du redressement. Chacun le sait, le président de la République et le Premier ministre y ont insisté, et plusieurs d’entre vous l’ont dit : le redressement économique de la France est la priorité nationale. La priorité de toutes celles et ceux qui sont déterminés à ce que notre pays ne sorte pas des radars de la mondialisation.

Le diagnostic est connu. Notre déficit commercial est lourd : 70 milliards d’euros en 2011. La flambée des prix du baril de pétrole ne suffit pas à l’expliquer. Le dernier excédent remonte à 2002.

Il existe bien sûr plusieurs aspects. L’enjeu de la compétitivité du « fabriqué en France » a été évoqué. Il faut l’aborder sans tabou. C’est le sens de la mission confiée par le Premier ministre à Louis Gallois, un « grand patron » dans tous les sens du terme.

Mais notre sujet va au-delà. C’est tout l’appareil public qui doit être tendu vers l’impératif de redressement. Le ministère des Affaires étrangères doit prendre et il prendra sa pleine part de cet effort collectif. Il y aurait quelque paradoxe à ce que le Quai d’Orsay, spécialiste des crises, ne se préoccupe pas de la crise économique. L’administration n’a pas à se substituer aux entreprises, ce n’est pas son rôle ; mais elle peut agir – et elle le doit – pour les soutenir. C’est la raison pour laquelle je souhaite que la diplomatie économique soit pour nous une priorité majeure, votre priorité.

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Un deuxième enseignement que je tire de nos échanges : le redressement est autant affaire de croissance qu’enjeu d’influence. La géométrie des puissances mondiales, en recomposition, est marquée par l’affirmation spectaculaire des BRICS (Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud), désormais porteurs de la moitié de la croissance mondiale, et par le développement de nouveaux émergents. Cette tectonique est largement déterminée par des critères économiques. Le poids de la France dans le monde se mesure notamment à l’aune de son PIB, de sa balance commerciale et budgétaire, de sa capacité à attirer les investissements.

Or sur ces plans-là, rien n’est acquis. Dans la mondialisation, chaque nation est un peu comme la Reine rouge de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles : il faut courir pour simplement rester à la même place. L’enjeu économique est aussi diplomatique : c’est celui de la place et du rôle de la France dans le monde.

L’ensemble des responsables de notre pays doit y contribuer. C’est pourquoi j’ai demandé à quelques personnalités de stature internationale de bien vouloir apporter leur concours. L’ancien Premier ministre M. Jean-Pierre Raffarin l’avait fait avec succès pour plusieurs dossiers entre la France et l’Algérie : il a bien voulu accepter de poursuivre. Mme Martine Aubry a accepté d’accompagner notre action d’ensemble en Chine. M. Louis Schweitzer, qui a notamment mené à bien l’accord majeur Renault-Nissan, fera de même au Japon. M. Pierre Sellal enfin, le Secrétaire général du Quai d’Orsay, suivra particulièrement les Émirats Arabes Unis. Le concours précieux et bénévole de ces personnalités, qui seront rejointes prochainement par un petit nombre d’autres, devrait aider à notre efficacité internationale sans se confondre évidemment avec le rôle permanent de nos ambassadeurs : qu’elles en soient vivement remerciées.

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Troisième enseignement : nous avons beaucoup d’atouts. Je connais depuis longtemps et j’ai rencontré depuis ma prise de fonctions de nombreux responsables économiques, dirigeants de grands groupes, PME, entreprises de taille intermédiaire qui me l’ont confirmé : l’offre française est excellente dans de nombreux domaines, industriels ou de services : aéronautique et spatial, énergies traditionnelles et renouvelables, transports, eau, gestion des réseaux, bâtiment, agroalimentaire, luxe, santé, chimie, tourisme, culture, art de vivre… Cette offre correspond aux besoins des nouveaux territoires en développement.

La plupart des entrepreneurs que j’ai rencontrés marquent leur satisfaction à l’égard de l’appui qu’ils ont pu obtenir de la part de notre réseau diplomatique, pour des soutiens ponctuels ou pour apporter l’éclairage politique indispensable. Avec les autres administrations et acteurs concernés (je pense notamment au ministère de l’Économie et des Finances, du Commerce extérieur, du Redressement productif, à Ubifrance, aux Chambres de commerce, aux conseillers du commerce extérieur, aux diverses organisations représentatives des entreprises et des salariés, à l’Agence française de Développement, à l’Agence française pour les Investissements internationaux…), le Quai agit pour soutenir l’appareil productif national.

Nos instruments d’influence sont aussi, cela a été souligné, des leviers extrêmement utiles : la France déploie le second réseau diplomatique du monde, accorde chaque année près de cent millions d’euros de bourses aux étudiants étrangers, souvent en partenariat avec de grandes entreprises françaises, fournit aux acteurs économiques une veille scientifique approfondie. Le réseau de nos établissements français à l’étranger est reconnu comme un vrai facteur d’attractivité. Nos 490 établissements dans 130 pays sont précieux et je veillerai à ce qu’ils aient les moyens de bien agir. Plus largement, notre diplomatie culturelle et d’influence contribue fortement à l’attractivité de la France. Nous y reviendrons demain.

Oui, nous avons des atouts. Mais les juges de paix que sont notre taux de croissance, celui du chômage, la balance de notre commerce extérieur et de notre budget, sont malheureusement convergents et négatifs. Nous devons donc collectivement faire plus et mieux.

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C’est pourquoi nous devons développer le réflexe économique. C’est le quatrième enseignement que je tire des échanges. Notre diplomatie, mobilisée par des préoccupations traditionnelles et par la multiplication des crises, n’a pas toujours pu s’adapter. Notre dispositif de soutien extérieur parait morcelé, parfois peu lisible et pas toujours efficient.

Les grands contrats sont mieux suivis que le commerce courant et les grandes entreprises mieux que les PME – même si celles-ci vont bénéficier à partir de 2013 de l’action internationale de la Banque publique d’investissement. Les initiatives régionales ne sont pas encore assez coordonnées. La question des liens entre la base territoriale de nos entreprises et leur présence à l’étranger n’est pas toujours suffisamment cernée. L’enjeu des investissements étrangers sur le sol national est parfois sous-estimé. Au plan européen, le principe de réciprocité dans les échanges avec le reste du monde reste peu défendu et appliqué.

Je le dis donc clairement : nous devons agir plus vite et plus fort. J’ai souhaité, dès mon arrivée au Quai d’Orsay, inscrire notre politique étrangère dans la stratégie de redressement du pays qu’a fixée le président de la République. En nous appuyant sur vos contributions dont je salue la qualité, en concertation avec les autres administrations, un plan d’action pour donner à notre diplomatie économique cette nouvelle ambition a été élaboré. Je vous demande votre plein engagement dans sa mise en oeuvre, avec un souci permanent d’efficacité, d’utilité et de réactivité. Je sais pouvoir compter sur votre mobilisation.

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Ce plan, quelles en sont les grandes lignes ?

D’abord, le soutien de nos entreprises à l’international, le soutien de la promotion du « fabriqué en France » et de la « destination France » pour les investissements sera désormais une instruction prioritaire et permanente de notre réseau diplomatique. Cela commence à mon niveau et à celui des ministres : pour chacun de nos entretiens, déplacements, une réflexion sera menée en organisant si nécessaire des rencontres préalables avec des représentants des entreprises et en les intégrant plus fréquemment dans les délégations ministérielles.

Dans les postes, je vous demande de prévoir dans chacun de vos plans d’action un volet économique détaillé, quantitatif et qualitatif, définissant des objectifs et une feuille de route précis. Nous en ferons régulièrement le bilan. La stratégie économique de chaque poste comprendra en particulier une partie dédiée aux PME et aux ETI.

Partout où cela est pertinent, l’offre française en matière « d’économie verte » sera valorisée. Notre diplomatie économique doit être aussi une diplomatie écologique. Non seulement parce que notre conception du développement s’appuie sur trois piliers : économique, écologique et social ; mais parce que les entreprises françaises spécialistes du développement durable sont parmi les meilleures du monde et doivent être parmi nos « vaisseaux-amiraux » à l’exportation. Dans ces secteurs, vous vous appuierez bien sûr aussi sur nos opérateurs, en particulier l’Agence française de Développement dont la qualité environnementale des services et des projets est appelée à devenir l’une des signatures.

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Deuxième élément de ce plan d’action : chaque ambassadeur sera désormais clairement positionné à la tête de « l’équipe de France ». Vous réunirez autour de vous les services concernés ainsi qu’un Conseil économique constitué de dirigeants d’entreprises, conseillers du commerce extérieur, économistes, chercheurs… afin d’éclairer vos décisions. J’encouragerai le regroupement de nos services de soutien à l’activité économique, partout où ce sera possible. L’avis de l’ambassadeur sera systématiquement sollicité avant la délivrance à Paris de crédits. Les relations avec les collectivités, en particulier les Régions, seront développées.

Certains postes diplomatiques négocient des textes réglementaires et normatifs qui peuvent avoir des implications directes pour les entreprises. Ces dossiers parfois d’apparence technique sont décisifs pour notre compétitivité. Ils doivent être considérés avec le même niveau d’implication que les sujets diplomatiques traditionnels. Certains de nos voisins et amis européens l’ont mieux compris que nous. Je souhaite que ces postes mettent en place des procédures simples qui permettent aux entreprises d’exposer, en amont comme dans le cours des négociations, leurs attentes. Cela se fait déjà pour une part, mais il faut aller plus loin. Les Représentations permanentes, en particulier auprès de l’Union européenne, assureront un dialogue continu notamment lors de la négociation des accords commerciaux.

J’ai écouté attentivement ce que le Vice-président Tajani a dit de la politique industrielle européenne. Comme lui, je suis pro-européen et partisan d’une Europe ouverte ; pas d’une Europe offerte. Est-ce notre intérêt que le taux moyen des droits de douane soit, comme cela est actuellement le cas, de 3,2 % en Europe contre 7,8 % en Asie ? Et que la valeur des marchés publics attribués à des entreprises de pays tiers soit de 312 milliards d’euros en Europe, contre seulement 34 milliards aux États-Unis ? Nos positions dans les discussions européennes devront s’appuyer sur les principes de réciprocité et de juste échange, en nous posant systématiquement la question : « Est-ce bon pour nos entreprises, est-ce bon pour nos emplois en Europe ? ». Tel doit être notre fil conducteur.

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Mieux défendre nos intérêts économiques, c’est également développer nos outils d’influence. C’est un troisième grand élément de notre plan d’action.

Plusieurs postes ont développé des programmes de bourses cofinancés, pour la formation des étudiants étrangers. J’en ai signé deux moi-même récemment. Je souhaite que ces partenariats soient étendus en recherchant, partout dans le monde, les meilleurs étudiants. Nous refermer sur nous-mêmes serait, vous le savez mieux que quiconque, une erreur et une faute. Une personne étrangère formée en France peut devenir le meilleur ambassadeur de notre pays.

Nous disposons aussi des services scientifiques à l’étranger, qui mènent une action de veille utile. Vous en déciderez les orientations prioritaires dans chacun des postes, en fonction des réalités locales et en concertation avec les entreprises françaises sur le terrain.

Je l’évoquai au début de mon propos : la France bénéficie du réseau scolaire à l’étranger le plus étendu du monde. 300.000 élèves, +50 % en 20 ans. C’est un atout majeur. Ce réseau, qui ne sera pas touché par les économies budgétaires mises en oeuvre, accompagne l’évolution des communautés françaises à l’étranger et contribue au rayonnement français. Les entreprises seront associées plus étroitement à leur développement, notamment immobilier.

En matière consulaire enfin, il importe que les postes soient parfaitement informés de demandes spécifiques des acteurs économiques, en particulier en matière de visas, afin que les entreprises et les principaux investisseurs voient leur séjour en France facilité. L’accueil est un facteur clé. Ne sous-estimons pas l’importance de cette politique pour notre attractivité.

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Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

Si la diplomatie économique est notre priorité, notre organisation doit la refléter. J’ai décidé de créer au sein du Quai d’Orsay une Direction entièrement dédiée aux entreprises et aux affaires économiques. Elle sera confiée à Jacques Maire, un de vos collègues qui travaille depuis dix ans en entreprise et dont les compétences sont reconnues. Au sein de la Direction générale de la mondialisation, elle sera le point d’entrée des entreprises, concernant leurs intérêts propres mais aussi les sujets liés à la régulation et aux négociations susceptibles d’avoir un impact sur leurs activités. Les autres directions continueront naturellement d’entretenir des relations avec les entreprises dans leurs domaines de compétences, mais en liaison avec cette Direction.

Le « réflexe économique » imprègnera non seulement notre organisation interne, mais également la formation initiale et continue de nos diplomates. En début de carrière comme dans le cadre des formations au départ en poste, des modules de formation sur les enjeux économiques et commerciaux seront élaborés. Plusieurs d’entre vous ont fait le choix d’acquérir une expérience professionnelle dans le monde des entreprises. Je salue cette démarche. Les profils disposant d’une compétence économique seront encouragés dans la stratégie de recrutement du Quai d’Orsay. Les « flux » seront organisés et valorisés dans la gestion des carrières. Ces expériences doivent être un plus, un tremplin, pas un frein.

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La Communication du Quai d’Orsay devra aussi, c’est le dernier volet de notre plan d’action, mettre l’accent sur la diplomatie économique. Je continuerai à rencontrer de manière régulière les entrepreneurs. Les clubs qui existent et fonctionnent (club des ambassadeurs, club des entrepreneurs) seront développés tout en diversifiant les sujets abordés.

Pour marquer l’ouverture de cette maison vis-à-vis de notre appareil productif, une journée annuelle « Portes ouvertes aux entreprises » sera organisée. La première aura lieu dès cette année. Des « messages aux entreprises » seront développés dans le cadre des points de presse du ministère et nos outils de communication seront mobilisés en ce sens. Nous ferons en sorte que les entreprises françaises, selon des règles précises, bénéficient de certains éléments d’analyse de nos postes diplomatiques. Là aussi, ne soyons pas plus naïfs que nos compétiteurs. Enfin, le dialogue avec les partenaires économiques et sociaux sera approfondi, afin notamment que ce plan soit mis en oeuvre et adapté si nécessaire.

*** Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Le ministère des Affaires étrangères doit devenir celui des Entreprises. Il l’est déjà partiellement. Il doit l’être pleinement. La situation du pays et de l’Europe l’exige.

N’opposons pas la présence sur notre sol et à l’étranger. Vous êtes parfois amenés à défendre pour de bonnes raisons les intérêts de tel ou tel acteur français à l’étranger sans pouvoir pleinement prendre en compte les conséquences sur notre sol, notamment en termes d’emploi : gardons à l’esprit notre objectif, il s’agit de servir, avec nos entreprises et d’une certaine manière à travers elles, notre pays et notre territoire.

Le redressement économique est notre priorité. Elle impose une mobilisation totale. Avec le sens du service public et de l’intérêt général qui fait votre professionnalisme et votre excellence, je compte sur vous. »

Déclaration de Laurent Fabius du 28 août 2012

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