La «règle d’or» est un mensonge politique
La désormais fameuse règle dite d’«or», dont Nicolas Sarkozy tente de faire l’alpha et l’oméga du débat politique français, voire européen, est juridiquement inutile, matériellement abusive et politiquement mensongère.
Juridiquement inutile, car les traités européens, depuis Maastricht, posent des règles obligeant à respecter des critères de convergence pensés à l’époque pour le bon fonctionnement de la monnaie unique. Or, ces critères, respectés par le gouvernement de Lionel Jospin qui a préparé l’entrée de la France dans l’euro, ont commencé à être bafoués dès l’arrivée de la droite au pouvoir, après 2002. Les mécanismes de sanction existent. Ils ont même été initiés par la Commission européenne, au moment où les dérapages des finances publiques nationales commençaient. Mais le Conseil, réunion des Etats membres, l’a allègrement contredite, l’affaire se terminant devant la Cour de justice, qui laissa finalement aux Etats la marge de manœuvre voulue. La leçon de l’épisode est que le droit ne peut rien sans bonne volonté des Etats. Au reste, si l’objectif est d’encourager le législateur à planifier la réduction des déficits sur plusieurs années, on ne voit pas ce qui l’interdirait dans la Constitution dès à présent.
Au contraire, selon l’article 34 de la Constitution française, les orientations pluriannuelles des finances publiques définies par les lois de programmation s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.
Par ailleurs, puisque le droit existant suffit amplement à réduire les déficits, la règle d’or est matériellement abusive. Elle laisse improprement croire aux citoyens que, par une inscription dans la Constitution, nos finances redeviendraient saines, par un tour de magie constitutionnelle. Dans la bouche du président de la République, le vocable constitutionnel est devenu un gage de sérieux et de légitimité, plus que le droit européen, souvent blâmé, plus que la loi, souvent galvaudée. Mais la magie constitutionnelle n’existe pas et seule une bonne gestion des comptes peut garantir la prospérité.
Enfin, la règle d’or est politiquement mensongère. Pour rétablir nos comptes publics, nous n’avons qu’à respecter les règles européennes. Faut-il rappeler que le déficit s’est élevé, en France, à 3,3% du PIB en 2008, 7,5% en 2009, 7,1% en 2010, et que la crise en est moins responsable que les cadeaux fiscaux consentis aux plus aisés depuis 2007 ? Faut-il souligner que nos engagements ne seront pas davantage respectés en 2011 et 2012 ? Faut-il noter que la dette publique, qui était de 52,9% du PIB en 2002, quand la gauche a quitté les responsabilités, approche désormais les 85% du PIB, soit 1 650 milliards d’euros ?
En vérité, il faut à Nicolas Sarkozy le culot qu’on lui connaît pour oser se peindre en gestionnaire, agissant en bon père de famille, lui qui a dégradé nos comptes plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Il lui faut aussi un aplomb sans limite pour demander aux socialistes de voter cette règle d’or, comme si nous avions à approuver une sorte de référendum validant une politique impécunieuse et qui a échoué. C’est pourquoi j’ai souri de l’appel de François Fillon à l’unité nationale, baroque chez un homme toujours prompt à humilier la gauche, à fustiger les socialistes, à moquer nos propositions avec morgue et agressivité.
Les socialistes ne doivent pas tomber dans ce piège. Non pas qu’ils refusent la maîtrise des comptes publics. Nous avons fait la preuve de notre capacité à bien gérer, beaucoup mieux que la droite, au gouvernement comme dans les collectivités locales. Avec François Hollande, je redis notre engagement de revenir à un niveau de déficit en deçà de 3% du PIB dès 2013 et je rappelle sa proposition d’un amendement en ce sens dès le vote du projet de loi de finances rectificatives, les 6 et 7 septembre, comme sa promesse d’une loi de programmation des finances publiques dès 2012. Telle est la bonne réponse.
Non, il n’y a pas qu’une seule politique possible, celle de Nicolas Sarkozy. Non, cette politique n’est pas vertueuse et elle n’est pas juste. Elle ne mérite aucun satisfecit d’aucune sorte. Et, si le gouvernement est vraiment attaché à l’union nationale, qu’il combatte effectivement les déficits et la dette tout en réduisant les inégalités plutôt qu’en les creusant. Bref, qu’il commence par changer de politique. En vérité, il y a bien plusieurs politiques compatibles avec un retour progressif à l’équilibre des finances publiques : l’austérité inéquitable, proposée par la droite, ou la croissance juste que nous voulons définir. N’abdiquons pas nos marges de manœuvre, soyons enfin plus résolument européens.
En vérité la règle d’or est à la fois une instrumentalisation de la Constitution et une imposture politique. C’est pourquoi, comme tous les socialistes, je la refuse.
Source: Libération édition du 29/08/11